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Sciences économiques et sociales : mode d’emploi à l’usage des jeunes générations

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DEES n°75 / Mars 1989, page 34-35, Par Pascal COMBEMALE, professeur de SES en BL

En tant que fait social, les SES satisfont partiellement au paradigme de l’individualisme méthodologique. Il n’est pas possible d’expliquer leur naissance, puis leur essor, comme le résultat d’une nécessité structurelle. Le schéma qui s’applique le mieux est celui des conséquences non voulues d’une séquence d’actions menée par une minorité active. Qui aurait pu imaginer que les jalons posés à l’occasion de la Réforme Fouchet résisteraient aussi longtemps ? Dès l’origine, nous avons la chance d’être parrainés par une équipe pluridisciplinaire menée par M. Roncayolo et G. Palmade. Les SES sont définies par leur objet, l’analyse des différents systèmes économiques et sociaux, et leur mission, permettre aux élèves de mieux comprendre les grands enjeux du monde contemporain. Vingt ans après, nous pouvons dire que cet acte instituant fut véritablement révolutionnaire. En effet, on aurait pu concevoir les SES comme une simple projection de disciplines académiques. Il n’en fut rien. Au contraire, on s’efforça de dépasser les clivages universitaires pour édifier un bloc pluridisciplinaire. Les répétiteurs stériles pourront toujours railler le côté prométhéen de ce pari, ou se gausser de l’écart entre les intentions et la réalité quotidienne, les SES ne valent que par cette ambition, aujourd’hui autant qu’hier. Comme je l’ai écrit ailleurs : « beaucoup d’incompréhensions, et de ressentiments, s’expliquent rétrospectivement par cette prétention ». 

 Mais la volonté et le talent de quelques guides éclairés ne pouvaient suffire. Après les acteurs, il convient d’évoquer l’état du système à cette époque. La mode était alors aux grandes synthèses : les historiens qui nous portèrent sur les fonds baptismaux n’étaient pas étrangers à l’École des Annales ; les sciences sociales offraient le spectacle de luttes ouvertes entre chapelles : marxisme, structuralisme, fonctionnalisme, etc. L’air du temps était propice à la contestation et aux théories critiques : la première génération à avoir incarné l’idée originelle fut la génération de mai 1968. Nous devons beaucoup à l’activisme de ces militants de la première heure. Certes, les incohérences, les lacunes, les excès deviendront manifestes avec le temps. Mais, pendant ces années mythiques, l’enthousiasme balaya bien des obstacles. Quelques années après, quand on se décida enfin à s’interroger sur la spécificité des SES, personne ne trouva de réponse facile ; c’était probablement parce que l’unité et la cohérence résultaient plutôt de l’identité d’un groupe, une identité forgée dans la pratique, grâce à la liberté pédagogique, aux stages de Sèvres, et fortifiée par ta référence implicite à des valeurs communes. 


 La conjonction d’un projet original en rupture avec la division académique du savoir, et d’une génération d’enseignants désireux de s’investir dans une expérience novatrice, sans oublier le succès auprès des élèves, ont marqué la belle époque des SES. Quel est l’héritage de cette première période ? 


 Nous retiendrons en priorité la définition des SES comme une gageure, l’objectif explicite étant « l’analyse la plus globale et, par conséquent, la plus interdisciplinaire possible d’un certain nombre de sociétés ». Il en découle deux principes méthodologiques ; l’approche systémique, on met l’accent sur les interdépendances dans une perspective holiste, et le refus des discours clos sur eux mêmes, les constructions théoriques sont toujours provisoires et soumises à la critique. A titre d’illustration, citons les auteurs d’un manuel en vogue à la fin des années 70 ; il s’agit de « favoriser au maximum la compréhension du caractère global de la réalité, en faisant se répondre les chapitres les uns aux autres, en suggérant des rappels, des liaisons, en laissant ouvertes certaines questions plus controversées, ce qui constitue la rneilleure initiation à une démarche scientifique ». Pourtant, plus que les raffinements épistémologiques et didactiques, ce sont les « mots d’ordre » pédagogiques qui ont constitué le signe de ralliement. On se souvient de la phrase justement célèbre d’Henri Lanta : « faire réellement participer les élèves à l’élaboration de leur savoir ». L’enseignant ne revendique pas la liberté pédagogique seulement pour lui, il veut aussi préserver l’autonomie de l’élève. Voici donc une deuxième gageure. Annoncer un cours magistral plus ou moins bien recopié, puis demander aux élèves de le réciter, ce n’est pas trop difficile et c’est sécurisant. Par contre, donner aux élèves les moyens intellectuels de l’autonomie, les amener à s’approprier réellement des connaissances, à devenir les sujets de leur propre pensée, cela présuppose de grandes qualités, à commencer par une culture honnête pour répondre aux questions et structurer les débats, et une rigueur constante, pour que la réflexion progresse à partir de bases solides. Certes, l’inexpérience ou les lacunes de la formation peuvent favoriser une dérive regrettable vers le bavardage... Mais il fallait, il faut toujours avoir le courage de tenir ce second pari, celui de l’intelligence, de la raison critique, de l’humanisme ; nous osons dire que la liberté de pensée est à ce prix. 


 Jusqu’à l’apogée, les SES avaient surmonté leurs contradictions dans le mouvement, par la création et l’expérimentation. A partir des années 80, les énergies furent absorbées par la défense des acquis, en réponse aux attaques visant à supprimer ou à dénaturer la discipline. Nous vivons depuis le paradoxe d’un enseignement de sciences sociales incapable de développer une pensée réflexive. Les héros sont sans doute fatigués, ou désabusés, et la relève se fait attendre. La seule avancée de cette période a été la réévaluation de la place de la théorie, mais ce débat aussi a tourné court, comme le démontre le surréalisme de certains sujets de Bac. On nous objectera qu’il n’était pas facile de rester imperméable à l’évolution de la société. Le renouveau du libéralisme économique, l’hégémonie de la pensée technocratique, le déferlement de l’utilitarisme et de l’économisme, la réhabilitation de l’entreprise, etc., tous ces bouleversements devaient nécessairement rejaillir sur nous. La pression s’est accentuée, y compris à l’intérieur de nos rangs, pour que nous renoncions à notre originalité : la tentation de la banalisation, du confort bourgeois qui en résulterait, devient plus forte. Ne suffirait-il pas de se replie sur l’économie générale pour résoudre la plupart de nos problèmes ? De plus, les profits matériels d’une telle stratégie ne seraient pas négligeables... 


 Le moment est-il venu de renoncer ? La réponse est immédiate pour ceux qui préfèrent le péché d’orgueil à ta compromission. Mais les leçons de morale ne tiennent pas lieu d’argumentation rationnelle. Admettons plutôt, pour les besoins de la démonstration, que nous soyons en retard sur le mouvement d’ensemble : en essayant de prendre le train maintenant, ne risquons-nous pas de manquer le suivant ? Et si l’avenir, c’était les SES, nous aurions bonne mine ! En effet, il n’est pas interdit de penser que le paradigme économique dominant ne produit plus de savoir cumulatif et qu’il s’épuise à retravail1er sans cesse, pour la forme, les mêmes démonstrations. A l’origine, l’économie n’était que l’idéologie du monde moderne en train de naître. Aujourd’hui, comme toute idéologie dont l’hégémonie n’est plus contestée qu’à la marge, l’économie déploie dans l’autosatisfaction une litanie de tautologies ; sa victoire s’explique par la réduction de la distance entre le réel et le discours ; nos sociétés ne nous apparaissent plus que comme des économies. Dès lors, l’économie n’a plus rien à nous apprendre sur le monde ; elle se dissout logiquement dans la gestion de l’ordre qu’elle a établi. Si les alternatives sont vouées à l’échec, s’il y a consensus sur les objectifs, si les moyens nous sont imposés parla loi du marché mondial, s’il suffit de copier les modèles allemand ou japonais, à quoi servent les économistes ? Y a-t-il encore de la place pour eux entre les technocrates et les journalistes (les premiers gèrent et les seconds expliquent) ? D’ailleurs, n’a-t-on pas le sentiment que les économistes passent le plus clair de leur temps à commenter une réalité qui les prend toujours de vitesse ? Ces questions valent au moins la peine d’être posées et elles ne peuvent l’être que de l’extérieur. Vingt ans, c’est un peu jeune pour mourir. Le problème actuel s’énonce simplement : comment continuer à évoluer sans perdre son identité ? Toutes les critiques qui nous sont adressées ne sont pas nécessairement mal intentionnées. Et nous savons très bien que nous avons atteint certaines de nos limites, par exemple dans un encyclopédisme qui favorise le bachotage au détriment de la réflexion. Le risque existe que nos ambitions donnent lieu à des excès regrettables. Nous devons l’assumer en recherchant sans cesse de nouvelles solutions qui seront, elles aussi, partielles et provisoires. Le travail de rationalisation n’est jamais terminé ; il est le contraire d’un travail de normalisation. Nous n’imaginons pas les SES à l’arrêt. Mais le mouvement ne suffit pas ; faut-il encore que nous allions ensemble dans la même direction... Cette condition nécessaire nous renvoie à la question des fins et des valeurs, à leur définition et à leur transmission. 


 C’est ici que l’on découvre l’enjeu de la socialisation des nouvelles générations. Sauf exception remarquable, l’Université ne prépare pas à un enseignement interdisciplinaire. Et l’on ne peut plus demander à nos jeunes collègues d’entrer en SES comme on entre en religion, il n’y a pas de vérité révélée, il n’y a plus de rites d’initiation, les instances de socialisation dépérissent, ou nous échappent. Alors, quels sont leurs motivations, leurs objectifs, leurs pratiques ? Ne font-ils que passer ? Sont-ils avec nous faute de mieux ? Nous ne le savons pas vraiment, pourtant notre avenir se joue là. Voilà pourquoi nous n’avons pas hésité, dans ce petit texte, à répéter les vieux principes. Voilà pourquoi nous invitons nos amis, ceux avec lesquels nous sommes d’accord sur l’essentiel, à ne pas hésiter non plus à les répéter. En dernière instance, les SES existent pour des raisons politiques et épistémologiques. Pour des raisons politiques d’abord, tant que nous vivons en démocratie. La démocratie c’est, entre autres, la liberté de pensée, le droit à la critique rationnelle, la participation de tous aux choix et aux projets qui engagent la communauté. Son pivot est donc le citoyen informé et cultivé, capable de penser, par un effort de distanciation, la société à laquelle il appartient. Un enseignement de culture générale qui se donne pour objet les enjeux du monde contemporain, et vise à procurer aux élèves les instruments de leur autonomie intellectuelle, tire sa légitimité du combat pour la démocratie. Parce qu’il est défini par son objet et ses fins, cet enseignement transgresse les clivages disciplinaires. L’idéal serait de le définir comme une anthropologie transdisciplinaire. Par modestie, on se contentera fort bien de sciences économiques et sociales. Or, l’histoire des sciences sociales nous apprend que celles-ci sont traversées par des débats entre courants ou écoles de pensée antagoniques. L’épistémologie nous confirme qu’il ne saurait en être autrement, ne serait-ce que parce que les fondements ultimes sont politiques et éthiques, donc largement arbitraires. Il s’ensuit deux conséquences logiques : le respect intransigeant du pluralisme, la rigueur méthodologique ; sans pluralisme, on verse dans l’idéologie et la manipulation des esprits, sans rigueur méthodologique (construction des « faits », portée et limites des procédures de vérification, relativité des relations, déontologie du chercheur, etc.) on sort de la science. Finalement, ce à quoi nous sommes attachés se résume en quelques mots : 

- un enseignement de culture générale, pluridisciplinaire et pluraliste ; 
- respectueux des principes et valeurs de la démocratie ; 
- conforme aux règles épistémologiques et méthodologiques propres aux sciences sociales. Qu’on se le dise !

 

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