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L’évolution de la pédagogie

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Un texte dactylographié à partir de l’enregistrement d’une conférence, faite à l’Université de Nanterre en 1969, par Guy Palmade, Historien, fondateur des SES avec Marcel Roncayolo, premier insepcteur général de SES

Je présenterai l’évolution de la pédagogie d’une façon historique et j’essaierai en même temps de développer une certaine logique de l’historique, ce qui veut dire que dans une certaine mesure, je ne serai pas fidèle à l’histoire, mais enfin, je le serai à peu près.

Les grands mouvements de la pédagogie entre lesquels je distinguerai seront, d’une part pour commencer la méthode expositive, d’autre part la méthode démonstrative. Nous verrons pourquoi la méthode expositive échoue dans certains domaines, pourquoi elle doit être relayée par la méthode démonstrative ; nous verrons les difficultés spécifiques de la méthode démonstrative. Ensuite la méthode interrogative, méthode classique depuis presque un siècle en Europe, la méthode interrogative nous permettra de présenter l’enseignement programmé qui s’inspire très directement des schémas de la méthode interrogative. Nous ferons une critique de la méthode interrogative pour introduire les perspectives des méthodes actives. Une critique des méthodes actives nous introduira au courant de ce j’appellerai le courant psycho-sociologique et du courant psycho-sociologique nous aboutirons à la pédagogie institutionnelle et aux méthodes d’autogestion. Voilà le parcours que nous allons avoir à suivre.

La méthode expositive

Je n’ai pas à la définir longuement, elle est bien classique. Son titre même la définit : c’est une méthode dans laquelle on transmet quelque chose, un certain savoir par un exposé. Quel est le schéma de fonctionnement de cette méthode expositive ? Ce schéma de fonctionnement nous permettra de mettre en évidence un concept peut être plus important que le concept de méthode expositive, c’est la notion de méthode centrée sur le modèle et l’écart. Que se passe t-il en effet dans la transmission de savoir qui se déroule dans la méthode expositive. Il y a un enseignant qui possède un certain savoir, un certain modèle. Et, il va donner à ses enseignés de l’information de ce modèle. Ensuite, chez l’enseigné il se passera quelque chose dont nous ne savons pas ce que c’est, et puis si la méthode s’accomplit entièrement, l’enseigné a retenu quelque chose et à son tour il donnera de l’information à celui qui l’a enseigné sur ce qu’il a retenu. Il livrera de l’information en retour. Que fera alors l’enseignant ? Et bien il mesurera l’écart entre le modèle de ce qu’il y a à transmettre et ce qui a été donné par l’enseigné. Si cet écart est pratiquement nul on s’arrêtera là dans le processus. Mais si cet écart est suffisant, l’enseignant déterminera, réfléchira à ce qui lui convient de dire maintenant pour corriger l’écart et il devra donner de l’information à l’enseigné. Ces nouvelles informations ayant pour but de diminuer l’écart au modèle du savoir. Puis, à nouveau il se passera quelque chose chez l’enseigné et ainsi de suite.

Qu’est-ce qui domine alors le processus pédagogique ? C’est le modèle de savoir que détient l’enseignant, et d’autre part, son estimation continue de l’écart qui existe entre ce qu’a acquis l’enseigné, et ce qu’il devrait avoir acquis. Nous dirons donc que cette méthode, cette orientation est fondamentalement centrée sur le modèle et l’écart. C’est le modèle qui régit la totalité du processus ; le but de l’enseignant est de continuellement réduire l’écart jusqu’à ce que le modèle soit acquis par l’enseigné. Cette méthode est donc toute entière centrée sur le modèle et l’écart.

Ce qui se passe chez l’enseigné n’est pas un centre d’intérêt très actif pour l’enseignant ; c’est quelque chose dont il ne s’occupera peu. Il veillera à ce qu’il règne ce que l’on peut appeler des conditions accompagnatrices de l’acquisition du modèle, des conditions accompagnatrices de la réduction de l’écart, mais sans se préoccuper trop de cela. Ces conditions accompagnatrices, seront du genre : il faut qu’il y ait motivation suffisante chez les enseignés qui seront entraînés, amenés, soutenus par l’enseignant ; que celui-ci doit être psychologue, au sens courant du terme ; qu’il peut utiliser des phénomènes de compétition, de récompense, de sanction, enfin tout un ensemble de mesures accompagnatrices qui sont destinées à maintenir les conditions générales sous lesquelles l’acquisition du modèle va se dérouler.

Ne croyez pas cependant que nous soyons ici devant un simple processus de transmission d’informations, car ce qui doit être transmis ce n’est pas simplement de l’information “ sur ”, c’est une véritable maîtrise opératoire. C’est-à-dire que le savoir que doit acquérir l’élève ne doit pas être simplement information sur quelque savoir mais maîtrise de ce savoir. Il y a tout de même une différence importante et que certains ne prennent pas en compte quand ils réduisent le processus de formation, d’enseignement sous sa forme expositive, à un simple processus de transmission d’informations. Car en fait l’enseignant, le maître a non seulement des informations, mais il a la maîtrise opératoire de ses informations. C’est-à-dire que le professeur, de mathématiques n’est pas simplement quelqu’un qui récite des mathématiques, qui donne de l’information sur des mathématiques, c’est quelqu’un qui opère dans le champ symbolique des mathématiques. Les mathématiques, ce n’est pas de l’information sur des mathématiques, c’est un savoir-faire mathématique s’exerçant certes dans le champ symbolique de la mathématique, mais c’est une savoir-faire. Ce qu’il faudra donc transmettre, ce n’est même pas simplement que de l’information sur des mathématiques, c’est la maîtrise opérante, c’est le savoir-faire dans l’univers symbolique. On peut dire sous cet aspect qu’il y a un processus dans lequel on ne régule pas simplement une transmission d’information, mais on régule l’élaboration d’un modèle opérant ; ce qu’on veut faire acquérir à celui qui veut savoir, ce qu’on peut lui faire acquérir, c’est la maîtrise de ce modèle opérant, et il faut donc construire chez lui ce modèle capable de se réaliser dans un savoir-faire.

Je n’insisterai pas plus longtemps sur cette première méthode, je voudrais simplement indiquer que bien souvent des critiques faites à la méthode expositive sont plus des critiques faites à un mésusage, ou à un usage incomplet de la méthode expositive que des critiques qui portent véritablement sur celle-ci. Car, si vous dites que quand quelqu’un fait un cours dans un grand amphithéâtre, les élèves partent sans savoir grand chose, et que quand on renouvelle ça un certain nombre de fois, ils ne savent toujours pas grand chose en plus, vous critiquez une mauvaise application de ma méthode expositive, vous ne critiquez pas la méthode expositive dans le processus que je viens de décrire. Car le processus que je décris ne peut se réaliser que s’il y a véritablement cette régulation continue qui vise à assurer la constitution de la maîtrise du modèle opératoire. Si vous n’avez pas ce jeu de régulation continue avec le feed-back entre l’enseignant et l’enseigné vous n’avez pas véritablement une méthode expositive, au moins au sens plein du terme. C’est pourquoi certaines critiques de la méthode expositive sont plus des critiques de ces conditions d’application que des critiques de ce qu’elle est dans sa modalité de fonctionnement complète que je viens de vous décrire.

La méthode démonstrative

Voilà la première méthode classique que j’ai essayé d’éclairer pas seulement dans sa définition, mais dans son fonctionnement, son processus global. Nous voyons tout de suite que cette méthode échoue au niveau, non plus du savoir faire dans l’univers symbolique mais au niveau du savoir faire actionnel, au niveau du savoir-faire qui se traduit dans un domaine sensori-moteur. Vous pouvez apprendre les mathématiques à quelqu’un en lui parlant. Lui apprendre vraiment, nous venons de le voir, ce n’est pas simplement lui apprendre à en parler, c’est lui apprendre à en faire. Mais enfin vous pouvez transiter par la parole, par un certain nombre d’écrits et de schémas.

Mais si vous voulez enseigner à quelqu’un à monter en vélocipède en lui décrivant comment on peut faire du vélocipède, vous allez à un échec probable, le savoir-faire actionnel manuel, physique ne se transmet pas par la simple méthode expositive, ou se transmet d’une façon très peu économique. Pourquoi ? Essentiellement parce qu’il n’y a plus d’homogénéité entre les informations utilisées par celui qui fait l’exposé et par celui qui devra ensuite faire. Car, lorsque le professeur enseigne les mathématiques, il y a homogénéité complète entre l’Univers de son discours, et l’Univers où se déploient les mathématiques. Il y a homogénéité complète entre l’Univers donc où se déploient son discours sur les mathématiques faisant des mathématiques, et ce que devra faire l’élève. Le professeur manipule des symboles dans un univers symbolique, et quand l’élève fera des mathématiques il manipulera aussi des symboles dans un univers symbolique. C’est-à-dire que vous avez homogénéité entre les deux. Ce que fait le maître dans son discours, c’est aussi ce que fera l’élève dans son discours mathématique opérant. Au contraire, lorsque vous dites à quelqu’un comment monter à bicyclette, il n’y a plus aucune homogénéité entre ce que vous faites, et ce que lui devra faire, qui est monter à bicyclette. Votre discours reste un discours symbolique, ce n’est pas plus un discours symbolique sur le terrain des mathématiques, mais au moins symbolique sur le terrain du langage, donc vous êtes sur le terrain symbolique langagier, et lui il devra se débrouiller avec des sensations visuelles, tactiles, intéroceptives, avec des efforts musculaires avec tout un jeu de feed-back assurant la régulation de la mise en œuvre de ce système musculaire, etc… etc… qui n’ont absolument rien à voir avec l’univers où le langage se déploie : il n’y a plus aucune homogénéité entre les deux. Donc la raison fondamentale de l’échec des méthodes simplement expositives quant à la définition du savoir-faire, c’est la non homogénéité de l’univers où se déplace ce discours expositif et de ce que devra faire par la suite celui qui aura suivi l’information. Comment faire ? Et bien, on essaiera de rendre les deux domaines homogènes, c’est-à-dire de fournir des choses à l’apprenti qui seront homogènes à ce qu’il devra faire, et c’est pourquoi on utilisera la méthode démonstrative. Puisqu’il doit voir pour agir on lui fera voir, puisqu’il doit sentir pour agir, on lui fera sentir, etc… etc… La méthode démonstrative est donc une méthode de monstration, mais pas simplement sur le terrain actuel, sur tout autre terrain sensible. On essaiera de placer l’apprenti dans des conditions d’exercice de ce qu’on veut lui faire apprendre. On le mettra sur la bicyclette, on le mettra en position d’accomplir l’acte, on lui fera sentir et évaluer directement les résistances physiques, etc… etc..

Cependant ici les difficultés centrales des méthodes démonstratives, c’est la difficulté d’évaluation de l’écart. Car au niveau de la connaissance symbolique l’écart est directement visible dans le monde symbolique. Il se lie directement, il est en quelque sorte étalé devant l’esprit. Si vous prenez une démonstration mathématique, les erreurs de la démonstration mathématique sont écrites dans le champ symbolique où la démonstration se déploie, donc vous lisez directement l’écart. Quand on s’est trompé quelque part dans la démonstration, vous lisez directement qu’on s’est trompé ici, qu’ici il y a un écart, car tout est écrit dans le symbolique, et cette symbolique vous la voyez directement. Vous savez que l’ambition extrême des mathématiques c’est un formalisme complet, de telle sorte qu’il suffirait de voir que les bons signes ne sont pas là pour savoir que le raisonnement est faux, le formalisme étant parfait. Au contraire, dans le domaine de la méthode démonstrative, vous ne pouvez pas lire directement l’écart dans le déploiement des symboles. L’écart, il est dans le secret des corps si vous voulez, il est dans le secret du fonctionnement biologique. Quand vous prenez quelqu’un qui commence à faire du vélocipède et qui tout d’un coup se casse la figure, vous constatez qu’il se casse la figure, mais cela, c’est le résultat, ce n’est pas l’écart d’origine. Pourquoi s’est-il cassé la figure ? Vous ne le savez pas, vous ne pouvez pas le dire. C’est ici le secret de la réussite des bons moniteurs, car un bon moniteur est quelqu’un qui sait trouver l’écart qui a amené l’échec, qui sait pourquoi la personne sur un vélo finit par se casser la figure.

La lecture de véritables écarts est fondamentale, car si vous ne lisez pas de véritables écarts, vous allez obliger l’intéressé à faire des efforts considérables et difficilement maîtrisables et complètement vains, et tant que vous ne lirez pas l’écart vous n’obtiendrez rien. C’est pourquoi dans ce domaine vous avez des résultats extrêmement différents selon les moniteurs. Une partie de ces résultats et ces différences résident dans la capacité qu’ils ont à lire l’écart, à trouver l’écart alors que d’autres n’y parviennent pas. Car je le répète, tant que vous n’avez pas trouvé l’origine de l’échec qui est l’écart dans le mode opératoire, physique, qui est difficile à lire, car bien souvent il est caché dans la rapidité du geste par exemple, vous n’arrivez pas à obtenir un progrès dans l’apprentissage.

Une voie de progression de ces méthodes serait donc de trouver des dispositifs de détermination de l’écart, c’est-à-dire des dispositifs qui par exemple alterneraient immédiatement l’apprenti quand il ne tient plus sa ligne orientale, et qui alerteraient immédiatement le cycliste quand il fait une erreur gestuelle. C’est la capacité d’invention de ce mécanisme d’alerte très fin qui permettrait de progresser beaucoup plus vite dans ce type d’apprentissage. Alors, on peut penser à des enregistrements cinématographiques, des choses comme cela ; là, la richesse inventive des pédagogues est et serait, car il me semble qu’elle est encore insuffisante, extrêmement précieuse pour accélérer les processus d’apprentissage.

Voilà pour la méthode démonstrative. Retenez que cette méthode démonstrative répond moins strictement au modèle que je vous ai donné que les méthodes expositives. Le modèle est moins contraignant bien souvent, c’est-à-dire qu’on ne connaît pas souvent la meilleure façon pour quelqu’un d’accomplir le geste, il y a des voies différentes pour accomplir ce geste bien souvent et la lecture du meilleur geste est souvent très difficile.

La méthode interrogative

Tous les cas que je viens de prendre restent centrés selon l’expression que j’utilisais tout à l’heure sur le modèle et l’écart, c’est-à-dire qu’ils ne s’intéressent pas à ce que nous allons appeler les processus d’appropriation. Or, il ne s’agit pas seulement d’informer les gens sur : comment on monte à vélo, d’informer les gens sur : comment on fait des mathématiques, il faut qu’ils arrivent à monter en vélo, et qu’ils arrivent à faire des mathématiques. Il faut donc qu’ils s’approprient cette maîtrise opératoire que l’on désire leur faire atteindre. Nous allons voir là un autre mouvement pédagogique qui va se centrer autrement, c’est-à-dire qu’au lieu de se centrer sur le modèle et l’écart, il va se centrer de plus en plus sur le processus appropriateur. Alors nous avons une autre direction pédagogique : ce seront les pédagogies que nous appellerons non plus “ centrées sur le modèle et l’écart ”, mais “ centrées sur le processus appropriateur ”. Cela ne veut pas dire pour autant qu’on sache dans l’intimité ce que c’est que ce processus appropriateur, cela veut dire qu’on va faire plus attention à la motivation et à la mise en œuvre de cette appropriation.

Le premier exemple de cette nouvelle façon de se centrer de la pédagogie, c’est la méthode interrogative. La méthode interrogative part de cette idée que si nous n’avons pas certaines connaissances, nous avons les éléments qui peuvent nous permettre de découvrir ces connaissances. Et l’idée sera que apprendre ce ne sera plus exposer, mais amener les gens à découvrir certaines connaissances, un certain savoir, à partir de connaissances qu’ils ont antérieurement, et qu’on leur fera découvrir par un jeu de questions. D’où l’expression de méthode interrogative. On fera découvrir le savoir que l’on veut transmettre par des questions. L’hypothèse fondamentale c’est qu’on connaît mieux, et surtout on maîtrise mieux opératoirement ce que l’on a trouvé soi-même. Voilà l’idée centrale. Voyez donc qu’on se centre bien sur le processus appropriateur.

Méthode interrogative et enseignement programmé

L’enseignement programmé est une méthode qui s’inspire de ce schéma. Dans l’enseignement programmé, par des réponses apportées à des questions, on acquierera peu à peu la connaissance. Quelles sont les caractéristiques de l’enseignement programmé ? La progression est découpée en unités très petites. D’autre part, la progression est absolument stricte. Elle est complètement déterminée : on la met dans une machine, ou on la réalise dans un livre, aux pages mélangées, mais enfin elle est absolument stricte. D’autre part, en principe on l’a établie sous forme optimum, après l’avoir expérimentée sur une population donnée. C’est-à-dire qu’après avoir établi un premier programme, on essaiera ce programme sur une population définie et on corrigera peu à peu ce programme de façon à ce qu’il atteigne son optimum. Donc, il y a une idée de maîtrise complète, de détermination stricte, de la progression.

A l’extrême on intègrera des processus de ce genre avec feed-back dans le programme. Vous avez ici la grande différence entre les programmes linéaires… qui ne sont pas des programmes adaptatifs, et les programmes dits ramifiés avec un intermédiaire qui a plusieurs réponses pour que les gens progressent sur la bonne réponse. Il y a un jeu de ramification qui permet d’adapter les nouvelles informations que l’on donnera au type de réponses qui ont été données. Si à une question donnée je réponds juste, alors on ne me donne pas de nouvelles présentations, car il n’y a pas d’écart, mais si je réponds faux il y a un écart, on ne me répète pas cette présentation, on me fait faire un détour supplémentaire, c’est-à-dire qu’on essaie d’intégrer le processus adaptatif de correction d’écart au programme lui-même. Bien évidemment, ceci ne peut être fait que par voie expérimentale. C’est-à-dire, que ce n’est que quand vous avez découvert les types d’écarts que vous avez dans une population d’enseignés, que vous pouvez, par chacun de ces types d’écarts déterminer les différentes modalités de ramification.

Je ne vais pas m’étendre plus longuement sur l’enseignement programmé. Disons que son orientation actuelle semble devenir beaucoup plus un effort de systématisation dans l’étude des progressions pédagogiques, d’introduction de voies expérimentales maîtrisées, que l’idée très stricte et limitée de faire tout apprendre par des programmes. C’est donc beaucoup plus la voie qui souligne l’importance des démarches systématiques et expérimentales en pédagogie, que le souci de voir et de résoudre tous les problèmes pédagogiques par une multitude de programmes qui est la voie actuelle des recherches en enseignement programmé. Bien évidemment l’usage de l’enseignement programmé dans une action pédagogique globale pose bien des problèmes. Dans une certaine extrémité on peut rêver de tout enseigner avec des programmes qui seraient dans des machines et compte tenu de la puissance de l’ordinateur vous pouvez tout à fait penser avoir un certain nombre de terminaux d’ordinateurs, par des programmes treillis. Vous pouvez avoir une mémoire qui enregistre toutes les erreurs, depuis le début, et qui, dans un tel cas, ne va plus optimiser sur une simple ramification mais va optimiser un choix extrêmement complexe à chaque fois, et éventuellement avec une mémoire complète de toutes les erreurs qui ont été faites antérieurement par l’élève. Car on peut penser que quand le professeur corrige une erreur cela peut ne pas être simplement fonction d’une erreur immédiate mais d’une erreur qui a déjà été commise il y a très longtemps, voire même de la population totale de toutes les erreurs commises par l’élève. Avec un tel schéma une bonne fonction d’information sur la décision optimisante peut théoriquement intégrer la connaissance complète de toutes les erreurs commises tout au long du chemin. Il faut encore que les ordinateurs progressent dans leur mémoire, pour que l’on puisse réaliser des choses comme celle-là, enfin, ils progresseront sûrement.

Voilà une progression interrogative. Or, quel est l’essentiel ? C’est de penser à tracer des bandes, n’est-ce pas. Or, c’est moi qui ait tracé des bandes, c’est-à-dire que le nœud du raisonnement a été donné derrière les questions posées.

Vous voyez donc pourquoi on a refusé à la méthode interrogative d’être véritablement active. Elle entretient une certaine activité, mais une activité toute parcellaire, toute analytique, mais pas du tout une activité de confrontation globale avec les problèmes. On peut dire de façon caricaturale, mais assez juste, que dans le fond, dans la méthode interrogative vous prenez les phrases du raisonnement et puis vous mettez un point d’interrogation après. Certes, à chacune de vos interrogations propositionnelles, on répond, mais l’enchaînement de ces interrogations propositionnelles est tout autant donné finalement dans cette méthode que si on lit l’enchaînement même des propositions.

Cette critique est historiquement importante parce que depuis 1880 tout notre enseignement dans cette évolution est dominé par la méthode interrogative. On croit souvent que notre enseignement est dominé par la méthode expositive dans ses instructions. C’est absolument faux. Depuis 1880 toutes les instructions pour l’école primaire ne recommandent pas du tout la méthode expositive, mais recommandent la méthode interrogative. Et ce n’est pas simplement vrai pour la France : c’est vrai aussi pour la Suisse, la Belgique ; enfin c’est un phénomène assez global. La forme officielle de la pédagogie selon les instructions c’est la méthode interrogative.

Alors que faire pour échapper à cette illusion d’activité de la méthode interrogative et créer les conditions d’une véritable activité ? Et bien en remettant la totalité du problème. C’est-à-dire qu’au lieu de poser une question parcellaire, et qui va jalonner en quelque sorte pas à pas la démarche de celui qui apprend, on lui remettra la totalité du problème.

Critique des méthodes interrogatives

Laissons l’enseignement programmé et passons à une critique des méthodes interrogatives. Les méthodes dites interrogatives ont essentiellement été critiquées parce qu’elles n’étaient pas assez actives. Or, c’est un peu paradoxal, parce que leur esprit est d’être le début des méthodes centrées sur l’appropriation, est de rendre les élèves actifs. Cependant on les a critiquées en disant que ce n’étaient qu’une illusion d’activité. Pourquoi ?

Dans un raisonnement, dans la découverte de quelque chose, cela n’est pas chaque proposition qui est importante, c’est l’enchaînement global des propositions, la structure ; dans un raisonnement, la connaissance de chaque proposition, la découverte de chaque proposition composant le raisonnement n’est pas l’essentiel, mais la découverte de la structure qui articule les propositions. Or, dans la méthode interrogative qu’est-ce que vous faites ? Vous amenez des gens à énoncer selon les questions chaque proposition comme proposition juste. Mais s’ils ne trouvent pas ? Et bien c’est de l’ordre de l’articulation globale du raisonnement qui est l’essentiel. Ils ne les trouvent pas pour une raison simple : c’est que vous la donnez par l’ordre et la nature de vos questions.

Il y a eu l’expérience de la méthode active d’un côté et la méthode interrogative d’un autre côté pour former les enfants à la géométrie élémentaire. Si vous prenez quelque chose du genre : connaissant d’un rectangle sa surface et l’une de ses dimensions, calculez l’autre dimension. Que fait le maître de la méthode interrogative ? Et bien il dit aux enfants qu’est-ce que j’ai fais là ? Et les enfants disent : vous avez fait un rectangle. Et là qu’est-ce j’ai fait ? Et bien vous faites un décimètre carré. Et là qu’est-ce je fait ? Et bien vous indiquez que côté là, il a trois décimètres de long. Et puis ici qu’est-ce que j’écris ? Et bien vous écrivez que le rectangle fait quinze décimètres carré. Alors nous passons donc au moment crucial. Le maître dit ceci, il dit : les enfant, combien y-a-t-il de décimètres carrés dans cette bande. Forte réflexion intense des enfants qui disent : et bien il y en a trois. C’est vrai les enfants, il y en a trois. Et maintenant qu’est-ce que je fais, les enfants ? Et bien vous faites une nouvelle bande. Et dans cette nouvelle bande il y a combien, faites un effort en commun.

La méthode active

Je prends l’exemple précédent d’enseignement de la géométrie élémentaire. Dans le cas de méthode active, le maître remettra aux enfants des décimètres carrés de carton en certain nombre, et puis il leur posera le problème : quand on connaît la longueur d’un rectangle, que vous pouvez faire avec ces décimètres carrés, quand on connaît les dimensions d’un rectangle et sa surface, comment on fait pour calculer l’autre ? Et il constituera des petits groupes de deux ou trois ou quatre élèves, et les élèves vont se confronter avec la totalité de ce problème. Donc, le propre de la méthode active, c’est de remettre des problèmes dans leur totalité, et de ne pas guider par des questions fractionnées.

Beaucoup de contresens ont été commis à propos des méthodes actives.

Premier contresens : prendre les méthodes interrogatives pour les méthodes actives. Beaucoup d’enseignants utilisent les méthodes interrogatives en croyant que ce sont des méthodes actives. Je ne reviens pas sur ce premier contresens puisqu’il m’a servi à introduire la notion même des méthodes actives.

Deuxième contresens : aussi extraordinaire que cela puisse paraître, certains semblent penser qu’une méthode active, c’est une méthode dans laquelle on se remue, et que, quand dans une classe les élèves se déplacent, se remuent, font des trucs, alors c’est une méthode active. Contresens tout à fait extraordinaire. Il est évident que la définition de la méthode active qui permette aux gens d’élaborer complètement la solution d’un problème complet par eux-mêmes, n’a rien à voir avec le fait de se remuer. Mais on constate parfois que si on crée des conditions où les élèves se remuent, on se figure que c’est une méthode active.

Autre contresens : la confusion entre méthode active, et le fait de partir du concret, s’est profondément enfoncée dans notre enseignement français qui a l’habitude de déguiser son dogmatisme sous un appel continu ou concret. L’enseignement français est souvent un dogmatisme qui est concret. Alors souvent on confond méthode active ou concrète, c’est-à-dire on se figure que parce qu’on fait des expériences, parce qu’on fait toucher des choses, parce qu’on fait constater, c’est une méthode active. Ce peut être une bonne idée de partir du concret pour aller vers l’abstrait, c’est très possible : d’un autre côté, éventuellement on peut faire cela en utilisant une méthode active, c’est possible aussi ; mais il ne suffit pas de partir du concret pour que cela devienne pour autant une méthode active. Vous pouvez très bien faire partir du concret et avoir des progressions interrogatives extrêmement étroites, alors que vous partirez du concret et qu’il n’aura absolument rien d’actif. Vice et versa. Vous pouvez aussi partir du plus abstrait et être actif. C’est-à-dire que vous pouvez très bien ne pas partir du concret et utiliser une méthode active. Si vous faites commencer les mathématiques par la découverte du vocabulaire ensembliste, vous partez bien du plus abstrait et vous pouvez le faire selon une méthode active. Voyez donc que nous ne pouvons pas faire coïncider cette notion de partir du concret avec la notion de méthode active. Les deux peuvent coexister, mais les deux sont dans leur définition même tout à fait indépendantes. Ce sont deux univers distincts.

Autre confusion : entre méthode active et devinette. Il y a des gens qui disent : évidemment pour les mathématiques, pour la physique tout cela peut marcher, mais alors l’histoire ? Comment peut on faire découvrir à un enfant les maîtresses de Louis XIV ou telles batailles ? Bien sûr, aucun enfant ne pourra découvrir comme ça tout seul. Alors pourquoi s’étonne t-on de cette manière, de l’impossibilité des méthodes actives en histoire ou en géographie ou autre ? Tout simplement parce qu’on confond méthodes actives et devinettes. Ce n’est absolument pas le cas. Si vous prenez un domaine comme l’histoire, le problème n’est pas de deviner les batailles pour une raison simple : c’est que ce serait complètement stupide.

Comment se présentent les méthodes actives en histoire ? Par une conquête de l’activité historisante, faire acquérir aux élèves, leur faire découvrir quelle est l’activité de l’esprit qui se confronte avec le problème qui consiste à construire l’histoire et à trouver l’histoire. On peut procéder en faisant faire des enquêtes, parfois orales, auprès des parents sur l’état dans lequel se trouvait le village de leur jeunesse, sur la façon dont on y vivait, sur la vie courante, sur la réalité économique du village ; une fois qu’on a fait cela avec les parents, on peut passer aux grands-parents ; déjà la difficulté augmente ; on peut passer aux arrières grands-parents, et alors là les élèves découvrent justement qu’à une certaine extrémité il n’y a plus aucune méthode que de lire, et donc vous les introduisez à la critique des écrits. Or la critique des écrits, c’est évidemment l’activité fondamentale de l’historien, loin d’être obligé de leur faire découvrir l’histoire sans lire, vous leur apprenez à lire, pour, à travers ce qu’ils lisent, et par la critique de ce qu’ils lisent, construire l’histoire. Ceci peut évidemment s’ouvrir sur l’horizon des diverses temporalités historiques. C’est-à-dire que, dans l’étude de l’usage, vous pouvez faire découvrir la temporalité économique, la temporalité événementielle, la temporalité culturelle, et vous pouvez ainsi amener la classe à avoir sur le mur des lignes, des niveaux, qui correspondent aux différentes temporalités, ou aux différents modes de l’histoire si vous voulez : l’histoire économique, l’histoire politique, l’histoire scientifique, l’histoire culturelle, littéraire ou artistique, et à ce degré peut émerger le problème fondamental de l’histoire qui est le rapport entre ces temporalités historiques, problème du moteur historique. Quels sont les rapports entre ces temporalités ? Y a t-il des temporalités historiques dominantes ? etc… etc…

Je n’insiste pas sur le cas particulier de l’histoire, mais je voulais en dire quelques mots pour vous montrer que toute idée que les méthodes actives sont du genre “ devinettes locales ”, conduit à des absurdités comme pour l’histoire, et que sur le terrain de l’histoire, la méthode active peut avoir de grandes réussites et peut poser des problèmes tout à fait essentiels.

J’ai présenté les méthodes actives par une critique des méthodes interrogatives. Mais vous devez vous rendre compte qu’il se produit quelque chose de curieux dans ce que j’exprime, c’est que quand je fonde la présentation d’une méthode sur la critique d’une méthode antérieure, on pourrait aussi bien la présenter comme étant en continuité avec cette méthode antérieure. Je vous ai présenté la méthode active comme se constituant par une critique de la méthode interrogative. On pourrait faire l’inverse ; on pourrait dire : qu’est ce que c’est que la méthode active ? C’est une méthode interrogative qui généralise les interrogations. C’est donc une méthode plus interrogative que la méthode interrogative. Donc, finalement, elle ne se constitue pas par critiques, elle se constitue dans le mouvement même et dans le même esprit.

Critique des méthodes actives

Nous avons le même phénomène à propos des méthodes actives, et je vais vous présenter ce que j’appellerai le courant psycho-sociologique en pédagogie comme se fondant sur une critique des méthodes actives. Mais on pourrait faire l’inverse, et dire que le courant psycho-sociologique, c’est la continuité des méthodes actives. C’est vrai logiquement, historiquement ce serait moins vrai, car les méthodes actives se sont essentiellement développées dans l’enseignement primaire et à l’intérieur de l’expérience pédagogique. Au contraire le courant psycho-sociologique s’est beaucoup développé à son origine sur le terrain même de la psychosociologie et non de la pédagogie, à propos de l’éducation des adultes. Or, l’éducation des adultes ne s’est en général pas faite par des enseignements classiques, par des maîtres, appartenant à l’Education Nationale. Historiquement, cette continuité ne s’observe pas strictement. Il y a une continuité logique, mais là il n’y a pas de continuité historique. Alors qu’entre méthode interrogative et méthode active, il y a continuité historique. Ce sont des enseignants dans le système éducatif classique au niveau primaire, qui ont constitué les méthodes actives à partir d’une critique des méthodes interrogatives.

Passons à la critique des méthodes actives.

Première critique : pour la faire, il faut que je développe un aspect des méthodes actives que je n’ai pas présenté jusqu’ici, l’insistance sur l’importance du travail de groupe. Les méthodes actives se caractérisent en effet par deux choses : la première je vous l’ai énoncée ; c’est de remettre aux élèves la totalité d’un problème, la deuxième caractéristique : c’est l’insistance sur l’utilité du travail en groupe et en petit nombre.

Quand on étudie plus finement les méthodes actives, on peut montrer qu’il y a deux courants. Le courant qui insiste sur la créativité de chaque élève, la créativité individuelle, et moins sur le travail en groupe ; et un autre courant qui insiste plus sur le travail en groupe et moins sur la créativité individuelle. Mais de toute façon les deux sont toujours présents.

Une critique que l’on peut faire aux méthodes actives à propos du travail en groupe, c’est un optimisme naïf. L’idée qu’on trouve à peu près dans tous les écrits et dans toutes les pratiques, c’est que dès qu’on permet au groupe de travailler en groupe, dès que les élèves au lieu d’être les uns à côté des autres en train d’écouter quelqu’un, ont des échanges les uns avec les autres dans une activité commune, tout va bien. Or, vous pouvez toujours chercher actuellement dans les auteurs qui ont écrit sur les méthodes actives comment on s’y prend pour faire travailler un groupe. Vous ne trouverez jamais que des indications extrêmement générales, extrêmement sommaires, que des bons conseils avec le peu de portée pratique opératoire que peuvent avoir de tels bons conseils. Une première critique que l’on peut adresser aux méthodes actives, c’est d’avoir prôné le travail en groupe avec un espèce d’optimisme naïf, avec l’idée qu’il suffisait que les gens soient en groupe et fassent les choses en groupe pour que cela se passe bien sans connaissance particulière des phénomènes de groupe. Cela n’est pourtant pas si simple que cela, et la dynamique interne d’un groupe, à partir du moment où les échanges qui se produisent dans le groupe, où cette dynamique est ouverte ne va pas sans poser des problèmes et bien des difficultés.

Cette première critique nous donne en vue une seconde critique qui est, d’une manière générale, l’optimisme. L’optimisme dans la capacité créatrice. L’hypothèse est là que dans le fond, tous les élèves ou l’énorme majorité des élèves quels qu’ils soient ont un besoin, une exigence, une capacité à résoudre des problèmes globaux, qu’ils en ont envie, qu’ils aiment cela, qu’il suffit de leur poser des problèmes globaux pour qu’ils se précipitent activement sur lesdits problèmes globaux pour les résoudre. Or, la réalité montre que ce n’est pas si simple : il y a des barrières internes à la créativité, bien sûr il y a des tendances à la créativité, mais elle ne s’épanouit pas du simple fait qu’on crée quelques conditions générales pour qu’elle s’épanouisse, parce qu’il y a des résistances internes à cette créativité. Comment résoudre ces résistances, comment traiter ces résistances, comment en faire prendre conscience ? Autant de problèmes que ne posent pas les méthodes actives. Elles ne le posent pas parce qu’elles les ignorent.

Cette critique peut conduire à une critique plus grave. Il est dans la logique des méthodes actives, en faisant appel à la créativité, de diminuer la dénivellation entre le maître et les élèves et de s’éloigner des rapports d’autorité classique. Car, il est évident, qu’à partir du moment où l’on remet aux gens le soin de résoudre eux-mêmes la totalité de certains problèmes, au lieu que cela soit vous qui leur donniez la solution à ces problèmes, on modifie le rapport enseignant-enseigné. Mais, s’il ne suffit pas de faire cela, s’il ne suffit pas de proposer les conditions de la créativité pour que la créativité émerge, comment le maître va t-il traiter concrètement les difficultés dans lesquelles il se trouve ? Il n’a qu’une façon de les traiter dans les perspectives des méthodes actives, c’est l’appel au bon vouloir. C’est-à-dire qu’une classe active se mettra à avoir comme ressort pratique l’appel continu au bon vouloir. L’appel continu à être gentil. Et cet appel à être gentil, comment peut-il se manifester essentiellement ? En étant gentil soi-même. Car si je suis gentil avec vous, ceci est une incitation forte à ce que vous ne soyez pas méchants avec moi. Alors à l’extrémité, un danger, c’est la culpabilisation des élèves et c’est l’impossibilité de la manifestation des pulsions ou des tendances agressives. C’est-à-dire qu’à l’extrémité, le maître culpabilise les élèves et les entretient dans une atmosphère factice de bon vouloir, de bon vouloir apparent, sous laquelle il y de forts sentiments de culpabilité qui sont entretenus.

Autre critique : les méthodes actives ne traitent pas les problèmes du maître, ou elles ne les traitent qu’à un niveau opératoire, ou au niveau du bon vouloir, mais pas du tout au niveau personnel ou caractériel, ou affectif. Quand on veut savoir comment on doit pratiquer une méthode active quelconque (vous pouvez prendre par exemple les courants), il y a un livre dans lequel on explique comment on fait les méthodes actives, et puis c’est tout. Chaque méthode active a sa technologie propre, rudimentaire, technologie propre où on apprend comment manipuler cette technologie ou cette technique, on apprend comment on fait l’imprimerie à l’école, comment on fait la coopérative scolaire, comment on fait des centres d’intérêt, etc… etc… Tout cela, se sont des techniques, alors on apprend des techniques. Certes, on dira que je suis injuste, que celui qui veut vraiment apprendre des méthodes techniques ne se contente pas d’apprendre les techniques dans un livre, mais va voir comment on fait. En effet, il peut faire des stages, il voit en effet comment on fait, je dis bien comment on fait, c’est-à-dire comment on pratique. Or, c’est insuffisant, et ce que j’ai dit avant sur les méthodes démonstratives, devrait éclaircir les choses. C’est insuffisant de dire comment on fait une classe active dans un livre, il faut voir aussi comment on fait, comment on met en œuvre une certaine technique. Mais ce qui n’est pas traité, c’est comment on change sa façon de vivre, comment on change son rapport aux autres, comment on peut changer son rapport aux autres. Car, comme je l’ai indiqué, dans leur projet même, les méthodes actives modifient le rapport vécu entre la classe et le maître, mais il modifie aussi le rapport entre le maître et la classe. Et cette modification de la transformation du rapport entre le maître et la classe ne peut pas uniquement résider dans des techniques et des pratiques, et réside dans une transformation de la signification interne de ce rapport. Alors, est ce que le maître est capable de la vivre cette transformation ? Si nous posons la question dans ces termes, nous pourrons alors demander que cherche le maître à l’intérieur de sa classe ? Quels aspects de ces problèmes psychologiques propres traite t-il dans le fait de faire la classe ? Quelles sont les fonctions psychologiques internes pour lui, pour son équilibre psychologique, pour sa personnalité, du type de rapport qui s’établit entre lui et sa classe. Autant de problèmes que les méthodes actives ne traitent pas.

Enfin, dernière critique : l’irréalisme social des méthodes actives tant sur le plan socio-économique que sur le plan culturel.

Nous devons constater que les méthodes actives ne sont tout de même développées dans l’ensemble du système éducatif que d’une façon limitée. Les titulaires de chaires de pédagogie en France ont écrit des ouvrages sur la pédagogie depuis 25 ans, et ont fait des exposés dans leur chaire, dans lesquels ils prenaient les méthodes actives. Ceci étant, l’ensemble des autres professeurs qui exerçaient leurs activités dans le plan universitaire faisaient tout, sauf l’évidence des méthodes actives. Et quant à eux, quand ils exposaient l’intérêt des méthodes actives, dans leurs ouvrages et dans leur chaire universitaire, ils pratiquaient tout sauf les méthodes actives.

Pourquoi ces paradoxes ? Pourquoi est ce que les méthodes actives ne se développent pas ? Il doit y avoir à cela des raisons socio-économiques et des raisons culturelles.

Le système éducatif se présente sous l’aspect d’un système dans lequel le pouvoir est strictement régenté par l’obtention d’un certain nombre de diplômes, un système dans lequel la solution au problème est strictement inscrite dans un code, dans un règlement, et qui ne donne que peu la possibilité à chacun de résoudre les problèmes selon la façon dont il les perçoit, selon les détails nuancés de chaque problématique, et qui ne veut les résoudre que par application d’un schéma a priori : il est un système hautement bureaucratique. Alors il est évident que les méthodes actives qui vont à l’encontre de tout ce que je viens de dire ne peuvent pas se développer à l’intérieur d’un système qui d’un autre côté est un système bureaucratique.

D’autre part, l’idée qu’il suffit d’ouvrir les choses pour que la spontanéité, la créativité se déploient, c’est une idée dans laquelle, dans le fond, la culture ne marque pas beaucoup les gens ; l’observation montre continuellement que notre culture sous des multiples aspects est anti-créative, qu’elle empêche les gens d’être spontanés, de se développer, qu’elle les limite dans leur pouvoir, qu’elle les limite dans leur spontanéité et ceci pour des raisons multiples. Il y a de l’anxiété devant la créativité, une anxiété devant le changement. Souvent la culture est attachée aux normes culturelles, ne peut pas supporter le changement des normes culturelles, résiste à tout changement des normes culturelles. Lorsque l’enfant est mis en situation de créativité de spontanéité, il rencontre des résistances culturelles qui viennent de lui, de la façon dont il a été formé, de ses parents, de son milieu, de la culture globale.

Le courant psycho-sociologique

Toutes les critiques que je viens de faire ne sauraient être prises en compte par tous les aspects de ce que j’appelle le courant psycho-sociologique. Par exemple, la critique que j’ai développé sur l’aspect illusoire du simple appel au bon vouloir et la libération, cette critique ne serait sûrement pas faite par le courant psycho-sociologique dit Rogérien, car en fait il dit le contraire de ce que je viens de dire dans son inspiration centrale. Mais enfin, à des exceptions près, je pense tout de même, que l’ensemble des critiques que je viens de développer sont bien des critiques communes qu’adressent ce que j’appelle le courant psycho-sociologique aux méthodes actives.

A partir de ces critiques que faire ? Et bien, tout d’abord, tenir compte des phénomènes de groupe en les connaissant, en sachant les analyser, en sachant les clarifier. C’est donc une formation à la connaissance des processus de groupe non pas dans la négation de la réalité conflictuelle mais dans l’élucidation de la réalité conflictuelle, en suivant l’expression des conflits, en clarifiant leur expression, en essayant de développer la capacité à la résolution de ces conflits.

D’autre part, si véritablement le rapport maître-élève est important, la personne du maître est importante, ses tendances propres sont importantes, ce qu’il cherche à réaliser est important : le premier acte est alors de susciter une prise de conscience de ces rapports vécus puis une évolution de ces rapports. Disons que toutes réalisations du projet pédagogique des méthodes actives impliqueraient une clarification des rapports des enseignants avec leurs enseignés, une incitation à clarifier, à élucider, à prendre conscience des rapports aux autres de chaque éducateur.

La pédagogie institutionnelle

Pour l’instant j’ai parlé de la classe, de la dynamique du groupe de la classe, du rapport réaliste entre les maîtres et les élèves, mais je n’ai pas parlé de la culture dans laquelle vit la classe et qui l’englobe, ni des institutions qui régissent de l’extérieur de la classe. La classe est dans un établissement scolaire, cet établissement scolaire doit appliquer certains programmes à des enseignants qui sont nommés d’une certaine façon, qui sont une certaine carrière, qui sont rémunérés d’une certaine façon aussi ; il y a un système de sanctions, il y a tout un corps d’institution, il y toute une culture. Ceci nous introduirait à la pédagogie institutionnelle.

La pédagogie institutionnelle historiquement s’est développée du reste par les critiques adressées à certains aspects du courant psycho-sociologique : les psychosociologues s’occupent de l’affectif, du groupe restreint et du groupe affectif restreint, mais ne s’occupent pas des institutions. Cette critique est en grande partie injuste car dès l’origine du courant psycho-sociologique, bien des psychosociologues pensaient que tout le versant institutionnel ou organisationnel devait être pris en compte si on voulait progresser, c’est-à-dire qu’il ne suffisait pas de faire du pédagogisme, de traiter des rapports vécus entre les personnes, mais qu’il fallait essayer d’affronter les problèmes au niveau des structures du système éducatif. La pédagogie institutionnelle veut, disons, réintroduire, ou introduire, ou souligner l’importance du cadre institutionnel.

Ceci étant, dans l’état actuel des choses, l’expression de pédagogie institutionnelle risque d’être très trompeuse et de soulever bien des contresens. D’abord pédagogie institutionnelle semblerait vouloir dire pédagogie par les institutions. Or, si vous lisez les principaux ouvrages du courant dit pédagogie institutionnelle vous vous apercevrez que de fait, les gens qui font de la pédagogie institutionnelle semblent beaucoup plus soucieux de faire de la pédagogie anti-institutionnelle que de faire de la pédagogie institutionnelle, c’est-à-dire qu’ils se préoccupent beaucoup plus de mettre en question les institutions, de dissoudre les institutions, de les changer, que de les utiliser.

Donc dans sa pratique, la pédagogie institutionnelle n’es pas une pédagogie par les institutions, elle est une pédagogie qui est plutôt contre les institutions. Et le maître qui veut faire de la pédagogie institutionnelle dans sa classe a comme premier problème : comment se débrouiller avec les règlements, les inspecteurs généraux, etc… C’est-à-dire comment se débrouiller malgré les institutions. Voilà une ambiguïté importante. D’autre part, le mot institution peut prêter à un autre contresens. Il chosifie un petit peu la réalité sociale, comme si l’institution existait en soi et indépendamment. Enfin, l’école est une institution, le lycée est une institution, le règlement est une institution : certes, tout cela ce sont des institutions, mais elles ne tiennent leur réalité que par le jeu institutionnel de base. C’est dire que le problème de l’institution, c’est le problème du système éducatif global dans sa réalité institutionnelle certes, mais aussi fondamentalement dans sa globalité et dans son existence en tant que système global.

Une autre ambiguïté me semble plus dangereuse que celle que je viens d’énoncer. Les pédagogues dits institutionnels qui s’occupent de créer un conseil de classe, des institutions dans leur classe, s’occupent peu des processus sociaux globaux, et en particulier leur intérêt pour le fonctionnement des systèmes socio-économiques globaux semble plus idéal que bien précis et bien concret. Le jeu opératoire de la bureaucratie que représente le système éducatif par exemple en France, n’est pratiquement pas du tout éclairé par la pédagogie institutionnelle. Or, si on veut progresser sur le plan des institutions, c’est le problème des organisations qui est en cause, c’est donc le problème de la transformation des organisations, ce n’est plus le problème de la pédagogie interne à la classe, c’est le problème de l’intervention au niveau des systèmes organisationnels globaux qui est en cause.

Le courant autogestionnaire

Parlons maintenant du courant autogestionnaire et de la notion d’autogestion. Pour cela, je suis obligé d’évoquer un problème que je n’avais pas jusqu’ici directement évoqué, celui de la distinction entre ce qui est une formation intellectuelle et ce qui est formation morale. Sur ce terrain de la formation morale, les méthodes actives se sont développées depuis très longtemps avec ce qu’on a appelé essentiellement l’autodiscipline. L’autodiscipline est un phénomène très ancien (par exemple au niveau universitaire à la fin du moyen âge, il y a des essais d’autodiscipline dans des universités italiennes, l’université de Strasbourg). Sans remonter si loin, on a souvent souligné combien les collèges anglo-saxons étaient soucieux de la constitution de l’autodiscipline. L’autodiscipline comme le terme l’indique consiste à demander aux élèves d’assurer la discipline de l’établissement scolaire ; généralement l’autodiscipline se développait dans les internats puisque c’est particulièrement dans des internats que les problèmes de la discipline se posent. En France l’autodiscipline s’était surtout développée sous l’influence anglo-saxonne par exemple à l’école des Roches. Qu’est-ce que signifie cette autodiscipline ? Résumons : la discipline générale n’est plus assurée par un corps d’adultes, mais elle est remise autant que possible aux élèves eux-mêmes ; on organise les élèves de façon à ce que s’étant organisée, cette organisation assure la discipline. Vous voyez qu’on peut dire que c’est une méthode active, non plus sur le plan de la connaissance intellectuelle, du savoir-faire sensori-moteur, mais sur le plan éducatif, puisqu’on remet aux gens le soin de conquérir eux-mêmes le fait de se discipliner.

Ne croyez pas cependant que cette notion d’autodiscipline dans son développement historique coïncide toujours avec des notions de démocratie ou de formation démocratique. Sous bien de ces aspects chez les anglo-saxons, le self-government coïncide avec une intégration de système démocratique à l’établissement scolaire : il y a des conseils de classe, des conseils d’établissement, des délégués, un véritable parlement qui est nommé par les élèves et ainsi de suite. Donc dans les pays anglo-saxons l’autodiscipline coïncide avec une intériorisation au fonctionnement du groupe des élèves, des pratiques démocratiques parlementaires de ces pays. Mais cela n’est pas le seul aspect de l’autodiscipline. Les Allemands ont eu tout un courant dit d’autodiscipline parce qu’on demandait effectivement aux élèves de s’autodiscipliner, mais dont les caractères pré-fascistes étaient tout à fait évidents. Vous trouverez des écrits de responsables de grands établissements scolaires allemands écrivant que leur but dans l’autodiscipline est de dégager les chefs nés, de permettre que la collectivité se retrouve dans ces chefs nés et sache se soumettre à eux en s’y retrouvant. Donc il ne faut pas faire trop coïncider ce courant que l’on appelle l’autodiscipline avec démocratie, c’est vrai dans beaucoup de cas particulièrement pour le courant anglo-saxon où ce qu’on en avait transposé en France, ce n’est pas vrai dans d’autres cas.

Mais l’autodiscipline n’est pas l’autogestion : nous allons voir comment la notion d’autogestion va apparaître par une critique de l’autodiscipline. En fait sur quoi porte l’autodiscipline ? Je l’ai dit : sur la discipline générale. Mais dans le fond, elle ne porte que sur l’accessoire, c’est-à-dire qu’elle ne porte pas sur la production. Gérer une usine, ça peut être balayer la cour, entretenir les machines, faire des trucs comme cela, mais la diriger vraiment cette usine, c’est déterminer ce qu’elle produira, fabriquera, vendra ; la direction effective c’est-à-dire la gestion au sens de direction ne porte pas sur les accessoires du processus producteur, mais elle ne porte significativement que sur le processus producteur. Or, si vous prenez l’autodiscipline telle que je viens de la décrire, elle porte sur tout, sauf sur l’essentiel et l’essentiel, c’est qu’est-ce qu’on apprend, comment on l’apprend. Ce n’est pas parce que les élèves surveillent les dortoirs, font fonctionner les bibliothèques, décident de leurs loisirs sportifs, etc… qu’ils gèrent véritablement l’école. Ils ne gèrent que le secondaire, car la production de l’école, c’est d’apprendre certaines choses plutôt que d’autres et de les apprendre d’une certaine manière plutôt que d’autre. Sous cet aspect on peut donc dire que l’autodiscipline ou l’autogestion qui ne se bornerait qu’au secondaire ne sont pas véritablement autogestionnaires. Le projet autogestionnaire authentique serait de faire décider par la collectivité de ce que l’on apprend et comment on l’apprend, car alors c’est la production qui serait gérée et non plus ses annexes. Est-ce facile ? Est-ce réaliste ? Quelles difficultés peut on rencontrer lorsque l’on s’avance dans un tel projet ? Ce sont cela les problèmes du courant autogestionnaire. De même que je vous suggérais que sous certains aspects la pédagogie institutionnelle restait illusoire, on peut se demander si les réalisations de la pédagogie dite autogestionnaire n’ont pas aussi dans beaucoup de cas quelques aspects illusoires, le fait que très souvent elles ont intégré les techniques et pratiques de courants antérieurs des méthodes actives, peut me semble-t-il permettre de s’interroger quant à l’existence d’une distance entre le projet posé et ses réalisations. L’étude de cette distance serait une étude très instructive.

J’en ai terminé avec l’évocation de l’évolution de la pédagogie. 

Dans le fond, ces différentes méthodes peuvent aussi bien être présentées comme des méthodes qui se créent, se constituent par une critique, une opposition à ce qui les précède que comme en continuité avec qui les précède, comme une façon de poursuivre un certain destin qui alors prendrait une certaine unité. Une autre remarque est l’élargissement continu dans tout ce que je viens de dire de la notion de pédagogie et en particulier le fait qu’elle sort du psychologisme de l’apprentissage. Dans une certaine perspective, on localise une transmission dans le champ de la psychologie ce qu’on appelle la pédagogie, et on s’occupe ni des problèmes culturels généraux, ni des problèmes sociologiques ni des problèmes économiques. Il me semble qu’un sens du mouvement que je vous ai décrit, c’est de sortir la psychologie de la pédagogie et de replacer la pédagogie dans la totalité des sciences humaines, si vous voulez parler en termes de connaissance, ou de la replacer dans la réalité sociale dans toute son épaisseur, si vous voulez parler autrement. Cet élargissement des préoccupations des actes d’éducation et de formation est une caractéristique de tout ce que je viens de vous exposer.

Guy Palmade

 

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