Frédéric Combelle enseigne les sciences économiques et sociales depuis 1998. Il est depuis la rentrée 2013 en poste au lycée de Sada à Mayotte, et enseignait auparavant au lycée Foch de Rodez dans l’académie de Toulouse. Il répond aux questions de l’APSES sur un de ses cours en seconde : « Y a-t-il trop de diplômés pour les emplois offerts ? »
Peux-tu présenter le « contexte » de ta séquence ? (public d’élèves, place dans l’année, nombre d’heures prévues, en classe entière ou en groupes, etc.)
Le lycée Foch de Rodez, où j’ai développé cette séquence, attire des familles de niveau socio-économique plus favorisé que la moyenne des établissements publics de l’académie. Les classes y comptent plus d’excellents élèves qu’ailleurs, et nous cherchons à en tirer profit pour développer une émulation entre élèves. Dans cette optique, compte tenu de la contrainte d’un cours en classe entière, sur un rythme d’une heure trente par semaine, je consacre en seconde de longues plages à des travaux de groupes, presque à chaque cours, dès le début de l’année.
Ce type de public permet d’utiliser des documents ou de développer des problématiques plutôt ambitieux pour des élèves de seconde, comme c’est le cas avec cette séquence : mon objectif était de confronter les élèves au pluralisme dans les sciences sociales, en leur montrant que sur un même objet, plusieurs théories peuvent coexister sans s’exclure, car elles répondent finalement à des questions différentes.
Il me faut environ trois séances pour introduire le chapitre (doc. 1), présenter les théories de l’inflation scolaire (doc. 2 et 3), des avantages statutaires des diplômes (doc. 3 et 4 : le document 3 est donc mobilisé à l’appui de deux thèses différentes) et du capital humain (doc 5). Le travail de groupe et ses deux tâches intermédiaires s’étale sur un cours et demi (environ 2h10).
Commences-tu toujours tes chapitres par une problématique formulée explicitement ? Pourquoi ?
La problématique n’est pas toujours formulée aussi explicitement, dans le sens où elle n’apparaît pas systématiquement en tête du document distribué aux élèves. Mais je précise toujours, au moins oralement en introduisant le chapitre, quelles sont les principales questions auxquelles nous chercherons à répondre. Cela permet de savoir quel est l’objectif d’apprentissage à atteindre (objectif qui est d’ailleurs systématiquement répété au début de chaque séance, avant de faire le bilan de ce qui a déjà été vu).
Le fait de procéder en trois temps pour la réponse aux questions (réponse individuelle/confrontation aux réponses des membres du groupe/confrontation aux réponses des autres groupes) n’est-il pas particulièrement chronophage ?
L’inconvénient (ou l’avantage !) avec le travail en groupes, c’est qu’il doit être cadré, aussi bien pour les tâches à réaliser par les élèves, le rôle qui leur est imparti, que pour le temps alloué à chaque tâche. Donc, il y a normalement peu de risques de s’enliser. Le temps est maîtrisé.
Maintenant, si le sens de la question est : « est-ce que ça permet de traiter les huit chapitres du programme en une année scolaire ? », clairement non ! Il faut un certain temps pour qu’une notion ou un mécanisme soit intégré par les élèves. Il ne suffit pas de l’avoir présenté une fois de façon magistrale pour que l’élève sache s’en servir. La répétition, dans des contextes variés, est essentielle. Le fait de présenter le document plusieurs fois, à des camarades qui le connaissent, mais aussi à d’autres qui ne l’on pas étudié (ou pas sous le même angle), est un stratagème inspiré de la pédagogie coopérative (voir des ressources en anglais, dont un grand nombre sont utilisables en lycée : http://serc.carleton.edu/econ/cooperative/index.html).
Je me suis inspiré, en le simplifiant, d’un dispositif décrit dans un article que je venais de lire, dont la thèse était que ce type de pédagogie est particulièrement adapté à un enseignement pluraliste de l’économie (Peterson J. et McGoldrick K. (2009), « Pluralism and Economic Education: a Learning Theory Approach », International Review of Economics Education, vol. 8(2), pp. 72-90. Disponible en ligne : http://ideas.repec.org/a/che/ireepp/v8y2009i2p72-90.html. Consulté le 23/07/2013).
N’est-il pas gênant que tous les élèves n’aient pas travaillé sur les mêmes documents ?
C’est sans doute un peu déstabilisant pour les élèves la première fois qu’ils sont confrontés à l’exercice. C’est pourquoi il faut le refaire souvent, tout au long de l’année de seconde.
L’idée est que les compétences mises en œuvre ne sont pas les mêmes à toutes les étapes de l’exercice :
- La discussion avec des élèves du même groupe, qui ont étudié les mêmes documents, permet d’identifier les arguments principaux : l’élève qui a le mieux compris peut expliquer « avec ses mots » (différents de ceux de l’enseignant), et la confrontation des réponses individuelles permet de s’assurer qu’un argument important n’a pas été oublié ; La réalisation d’un court essai (un dizaine de lignes) permet de fixer les connaissances. Ces essais seront réutilisés dans la synthèse du chapitre : un élève au hasard est invité à lire sa synthèse, et le professeur note les éléments importants au tableau (en corrigeant ou complétant le cas échéant).
- La discussion avec les élèves de l’autre groupe, qui ont étudié des documents présentant la perspective inverse, permet de jeter les bases du « débat scientifique dans la classe ». Les élèves du groupe A ont appris que chaque individu a un avantage individuel à obtenir un diplôme plus élevé, mais que l’agrégation de ces comportement présente un effet pervers au niveau collectif (la dévalorisation des diplômes). Ceux du groupe B ont vu que les jeunes ont un intérêt individuel à poursuivre des études, et que cet avantage a augmenté au fil du temps, alors même que le nombre de diplômés augmentait (l’avantage statutaire procuré par le diplôme est de plus en plus important). Ils sont donc invités à un classique exercice consistant à trouver les points communs et les différences, ce qui permettra lors de la synthèse du chapitre d’expliquer ces différences (les deux théories sont aussi « vraies » l’une que l’autre, mais ne décrivent pas les mêmes phénomènes).
Quelles sont les difficultés qui ont pu apparaître lors de ce travail de groupe ?
Ce sont les difficultés habituelles d’un travail de groupe :
- Certains élèves peuvent jouer les passagers clandestins, en ne s’impliquant pas dans le travail demandé. C’est pourquoi il est très important de bien présenter l’objectif final en amont, pour le rendre le plus attractif possible. Et le fait de passer dans les rangs, allié au contrôle social exercé par le groupe (les élèves ne sont pas autorisés à travailler avec leur voisin ou leur voisine habituel), joue un rôle incitatif à l’effort.
- Il est difficile de passer dans tous les groupes pour s’assurer que les idées ont bien été vues et comprises. Je contourne ce problème en organisant une mise en commun collective à la fin de la deuxième tâche intermédiaire, qui est notée au tableau.
- De plus, comme je l’ai dit, le niveau général des élèves ruthénois (= de Rodez) me permet de prévoir des cours assez ambitieux. Il faut donc rassurer en permanence les élèves (notamment, mais pas seulement, les plus fragiles) sur les attentes, qui demeurent somme toute très basiques : trouver des informations, comparer des documents, etc.
Quel est le rôle que tu adoptes aux différentes phases de ta séquence ?
Le travail de groupe ne constitue qu’une partie de la séquence. Il est encadré par des phases de questions-réponses sur les documents, où j’oriente les élèves dans la direction que j’ai choisie, et de synthèse, où les élèves prennent des notes de façon tout-à-fait conventionnelle.
Au début de chaque phase du travail de groupe, j’interviens pour donner les consignes (travail à faire et temps imparti), qui sont notées au tableau. Cela me permet de rappeler oralement l’objectif d’apprentissage visé, et le chemin déjà parcouru. J’assigne ensuite les élèves à un groupe, de façon à séparer les voisins (mes classes sont organisées avec six élèves de front : les élèves de la première rangée de droite doivent par exemple travailler avec un élève de la troisième rangée, etc.) et les élèves se déplacent.
Durant les premières minutes, pendant que les élèves prennent connaissance des documents, je me contente d’observer en passant dans les rangs pour aiguillonner ceux qui ne se mettent pas tout de suite au travail. Les élèves peuvent aussi à tout moment faire appel à moi pour préciser un point de vocabulaire ou obtenir des éclaircissements sur un document qu’ils ne comprennent pas.
Ensuite, pendant qu’ils confrontent leurs réponses, je choisis quelques groupes que je vais écouter, et j’interviens pour corriger les éventuelles erreurs, ou pour les inciter à approfondir un aspect qui n’aurait pas été vu.
Comment tes élèves se sont-ils impliqués dans la note de synthèse qu’ils devaient préparer à la maison ? Comment l’as-tu évaluée ?
En seconde, les élèves sont habitués à avoir presque systématiquement du travail à la maison pour la semaine suivante, et ce type de synthèse constitue la tâche la plus lourde que je peux leur donner. Je n’ai eu qu’un ou deux travaux bâclés, sur deux classes.
J’avais refusé de leur donner des consignes de longueur. La plupart des synthèses faisaient une page à une page et demi. Évidemment, je ne suis pas naïf : le fait que ce soit noté joue dans le sérieux avec lequel le travail est réalisé.
Mais on peut ajouter que l’exercice n’était pas insurmontable : les élèves les plus faibles pouvaient trouver tous les éléments dont ils avaient besoin dans la synthèse du chapitre. Ils avaient ainsi une occasion d’obtenir une assez bonne note.
La notation reposait sur quatre critères d’importance inégale :
- Structuration du raisonnement (deux parties, absence de hors sujet, utilisation de séquences argumentatives selon la méthode AEI…) ;
- Mobilisation des connaissances (meilleure insertion sur le marché du travail, thèse de l’inflation scolaire, thèse des avantages statutaires du diplôme, lien explicite entre scolarité à 18 ans et accès au baccalauréat) ;
- Utilisation des documents (citations précises et sourcées, pertinence des exemples) ;
- Rédaction et présentation.
Si cette séquence était à refaire, que garderais-tu absolument, et que changerais-tu ?
Je n’avais pas de secondes en 2012-2013, alors que j’en avais demandé. Je n’ai donc pas pu réactualiser ma séquence avec les travaux les plus récents. Le travail de groupe a bien marché, je garderais le principe. De manière générale, la partie sociologique de ce cours a eu un certain succès, et les élèves s’en souvenaient bien l’année suivante.
Par contre, je ne suis que moyennement satisfait de la tâche finale. Certes, dans la mesure où elle était notée, il était nécessaire de rester proche du cours pour en vérifier la maîtrise. Mais la question était sans doute mal posée : le fait de présenter les avantages, puis les inconvénients de la mesure proposée a empêché les élèves respectueux des consignes de prendre parti, et l’exercice s’est révélé un peu formel à mon goût.
J’aimerais aussi trouver un moyen d’améliorer la deuxième partie de mon cours (qui traite de l’aspect économique – la deuxième partie de la problématique) et qui ne s’appuie que sur le seul document 5, finalement assez sibyllin. Même si les élèves étaient capables de mobiliser l’année suivante la notion de capital humain, j’ai traité cette partie de façon objectivement très transmissive – un peu comme si l’économie se prêtait moins au débat scientifique dans la classe que la sociologie. De ce point de vue-là, mon objectif de départ n’est pas atteint.
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